Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ses antichambres. La noblesse combattait ou chassait ; la bourgeoisie buvait ou mangeait ; la pensée s’était réfugiée dans les professions libérales. Le barreau, la médecine, la magistrature, comptaient quelques hommes de goût intellectuel. Ce fut parmi les avocats et les médecins que se conserva quelque étincelle du feu sacré de la France, le sentiment littéraire. C’est toujours celui-là qui rallume le feu sacré de la liberté. Le hasard me fit rencontrer un jour, dans une de mes promenades solitaires hors de la ville, un jeune avocat né dans le Jura, et établi récemment à Mâcon. Je le connaissais seulement de nom et de visage, parce qu’on me l’avait montré du doigt dans les rues comme un homme d’espérance dans le barreau. Il avait entendu parler de moi aussi comme d’un jeune homme qui, au milieu de la trivialité de vie de la jeunesse du lieu, se sentait une âme, et cultivait plus ou moins heureusement ce germe étouffé dans tous. Il avait en ce moment un chien sur ses traces ; le mien ne me quittait jamais. Les deux chiens s’abordèrent, grondèrent, jouèrent ensemble, et forcèrent ainsi leurs maîtres à s’aborder.

Après l’échange de quelques paroles de circonstance entre deux promeneurs qui désiraient également une occasion de se rencontrer, la conversation s’engagea entre nous sur les livres, la littérature, la poésie. Je trouvai avec bonheur dans M. Bonot (c’est ainsi qu’il s’appelait) une imagination naïve et fraîche, une mémoire riche de tous les souvenirs classiques, une passion désintéressée du beau qui allait jusqu’à l’enthousiasme, un besoin d’admirer qui révèle en général le besoin d’aimer ce qu’on admire et l’impossibilité de l’envie. Les longues haies de buissons en fleur qui ombragent