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XXXVI


Quoique je n’y jouasse, à cause de ma jeunesse, aucun autre rôle que celui d’auditeur timide et silencieux, on conçoit que ces heures de soirées ainsi passées à entendre des hommes distingués parler librement de toutes choses me consolaient un peu de la tristesse de la résidence et de la journée. J’y puisais de plus ce sentiment d’opposition raisonné à l’opposition brutale du gouvernement militaire, cette indépendance d’idées et cette dignité de résistance sans faction aux partis triomphants, qui étaient l’âme de ces entretiens, comme ils étaient l’âme de mon père et de mon oncle. L’ennui me ressaisissait à la porte.


XXXVII


L’ennui était alors le mot de ma vie, le mal incurable de mon âme. Je ne sentais plus tant la douleur ; elle avait brûlé en moi toutes les fibres sensibles. Mon cœur s’était ossifié, du moins je le croyais ; mais je sentais le vide, un vide que rien ne pouvait remplir, un vide si profond et si vaste qu’il aurait englouti un monde. Je n’aimais rien, je ne voulais rien aimer, je n’avais rien à aimer d’amour. L’absence totale d’intérêt dans ma vie habituelle était telle, pendant ces mois de printemps et d’été passés ainsi forcément à Mâcon, que je cherchais inutilement les moyens les plus puérils et