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haute et souveraine fonction sur les prêtres du diocèse, dont j’ai oublié la nature et le nom. Il avait beaucoup écrit, et entre autres un livre intitulé le Philosophe chrétien, qui a encore une réputation de séminaire et de théologie. Il était prodigieusement savant dans toutes ces choses que personne ne se soucie de savoir aujourd’hui : blason, droít canon, questions de bénéfices ecclésiastiques, questions de casuiste, etc., mais il cultivait en outre avec succès les mathématiques, les sciences naturelles, la chimie. Les prêtres de ce temps-là ne ressemblaient en rien à ceux d’aujourd’hui ; ils étaient du monde : ceux de ce temps-ci sont du sacerdoce seulement ; c’est mieux, mais c’est autre chose. L’abbé Sigorgne avait été toujours du monde le soir, tout en étant de la science et de l’église le matin. Il avait voyagé, il avait habité longtemps Paris, il y avait été docteur en Sorbonne ; il avait fréquenté les salons de madame Du Deffant et de madame Geoffrin ; il y avait connu les écrivains et les philosophes du dix-huitième siècle. Ses rapports avec d’Alembert et Diderot n’avaient altéré en rien ses opinions religieuses. Il discutait avec eux sans les haïr, mais sans leur rien céder de ses convictions. Son caractère était une de ces trempés sur lesquelles tout glisse sans altérer le tissu de l’acier : doux au contact, ferme à frapper. Il avait eu avec Voltaire une correspondance, et avec Jean-Jacques Rousseau une discussion imprimée dans laquelle le philosophe de Genève et le philosophe de Mâcon s’étaient combattus en présence du public avec talent, politesse, dignité, estime mutuelle. L’abbé Sigorgne était naturellement fier de cette lutte avec un si célèbre adversaire. S’être mesuré avec Jean-Jacques Rousseau était une gloire même pour un orthodoxe et pour un vaincu. Il rejaillissait de tout cela