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salon. Les femmes n’y paraissaient jamais ; les huit ou dix hommes qui y venaient assez régulièrement tous les jours y étaient attirés les uns vers les autres, et tous vers le maître de la maison, par cet attrait volontaire et naturel qui entraîne les pas à l’insu de la volonté là où l’esprit se trouve bien. Il n’y avait d’autre rendez-vous que ce plaisir réciproque et cette conformité de goûts, d’études, d’opinions, rehaussée par une complète liberté de discours. C’était, en général, tout ce que le pays comptait d’hommes éminents, intéressants ou spirituels dans tous les rangs de la société. On n’y reconnaissait d’autre aristocratie que celle de l’intelligence et du goût. J’ai vu bien des salons dans ma vie de voyageur, de diplomate, d’homme du monde, d’homme politique ou d’homme de lettres ; je me souviens toujours de celui-là comme d’un modèle accompli de réunion, et les principales figures qui s’y dessinaient en demi-cercle, en face du feu, sont restées pétrifiées avec leurs costumes, leurs physionomies, leurs sons de voix, leurs gestes, leurs attitudes et leurs différentes natures d’esprit, dans ma mémoire et dans mes yeux.


XXXIII


C’était d’abord un vieil abbé vénérable et vénéré dans la province et au delà, avec une perruque fauve, une longue et grave figure de parchemin, une loupe énorme sur la lèvre inférieure, une pose de commandement, une voix de siècle sortant du fond d’une bibliothèque où l’on remue des in-quarto poudreux. Il s’appelait l’abbé Sigorgne ; il avait occupé, avant la révolution, quelque