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majesté, la lumière et l’ennui ; un splendide ennui, voila le caractère du lieu. Je puis dire que pendant ces années de ma jeunesse j’ai exprimé jusqu’à la lie tout ce que ce paysage contient de fastidieux dans sa beauté. Combien de fois n’ai-je pas reproché à la nature de m’avoir fait naître au bord de ces plaines, où l’âme s’extravase comme le regard, au lieu de m’avoir fait naître à Naples, en Suisse, en Savoie, dans l’Auvergne, dans le Dauphiné, dans le Jura, dans la Bretagne, pays à physionomies profondes et à caractères variés ! Aussi, quelle joie pour moi quand je sortais enfin de cette platitude du paysage de Mâcon, pour entrer dans les véritables collines du Mâconnais, tout à fait semblables aux immortelles collines d’Arquà, où vécut et mourut Pétrarque ! C’est là qu’est Milly ; voila mon pays ! J’adore le Mâconnais montagneux.


XXIX


Cette petite ville de Mâcon, située dans ce pays anti-pittoresque et au bord d’un fleuve qui n’a pas même le mouvement et le murmure de l’eau, était à cette époque le séjour d’un peuple doux, aimable, gracieux, spirituel, et d’une société d’élite véritablement digne de rivaliser avec les salons les plus aristocratiques et les plus lettrés que j’aie abordés plus tard dans toute l’Europe. C’était un Weymar français, une Florence gauloise, un centre de bon goût, de bon ton, de loisir, d’aisance, d’arts, de littérature, de science, et surtout de société et de conversation. Le hasard avait rassemblé ces éléments à Mâcon, pendant les quelques années qui suivirent la révolution