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XXVIII


Ces promenades, pendant lesquelles je portais sur le cœur des montagnes de tristesse et d’ennui, n’étaient diversifiées ni par ces accidents de paysage, ni par cette animation de la vraie campagne, ni par ce sentiment de la vraie et profonde solitude savourée avec sécurité au fond des bois, ni par les eaux, ni par les arbres, ni par les rochers. C'était une nature de faubourg, la plus morne et la plus désenchantée de toutes les natures ; non une campagne, mais un préau où l’on fait des pas pour se fuir, non pour chercher quelque chose ou quelqu’un. On y voyait ces toits de Mâcon que j’avais en horreur à cette époque de ma vie ou ils me représentaient ma captivité, et qui ne me sont redevenus chers que plus tard, quand ils m’ont rappelé mon père, ma mère, mes sœurs, mon berceau ! Je ne rencontrais que quelques femmes de caserne, à l’air effronté, ramassant des violettes sur le talus de gazon des sentiers ou des épines en fleur sur les buissons. Depuis ce temps-là, l’odeur des violettes et la neige parfumée de l’aubépine, ces deux symptômes précurseurs du printemps, me sont demeurés en dégoût dans l’odorat et dans les yeux, parce que ces deux fleurs me rappellent toujours ces promenades moroses, ces haies monotones, ces femmes sordides suivies à distance d’ouvriers ivres ou de soldats désœuvrés. Le paysage des alentours immédiats de Mâcon a beaucoup de ressemblance avec les paysages sans accent et sans cadre de la Lombardie. Un Virgile pouvait naître dans cette Mantoue. Cela respire l’immensité, l’uniformité, la