Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XXVI


A quinze ans on l’avait fait entrer au chapitre de chanoinesses auquel elle appartenait, espèce de couvent mondain qui interdisait le mariage, mais qui permettait le monde. Ses vœux avaient été moralement forcés.

Elle n’avait cessé de protester dans son cœur contre la contrainte semi-monacale et contre la cruauté du célibat à laquelle elle avait été condamnée ainsi avant l’âge de raison et de volonté. Quand la révolution était venue ouvrir les cloîtres et racheter ces canonicats de femmes, il était trop tard, elle avait passé trente ans, et ses vœux étaient irrévocables. Elle les maudissait, mais elle les gardait par honneur et par vertu plus encore que par religion. Pendant les longs loisirs de son couvent, elle avait lu beaucoup les philosophes, dont les livres passaient alors à travers les grilles très-larges de ces demi cloîtres. Il lui était resté un besoin de discuter avec elle-même et avec les autres les choses de foi, qui renaissait tous les jours malgré sa volonté systématique de croire ce qu’elle s’imposait comme autorité divine. Cette volonté de croire sur parole, et ce besoin de discuter toujours, formaient un plaisant contraste avec sa profession de religieuse sécularisée. Elle se donnait le matin les raisons de douter qu’elle se donnait ensuite à réfuter le soir. Sa pensée était un combat sans fin entre les doutes qu’elle chassait et la lumière qu’elle ne voulait pas admettre. Son esprit rebelle était un ressort d’acier toujours élastique ; elle le pliait en vain de tout le poids de sa volonté, il se redressait de toute la vigueur de son