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moins élancée de stature, elle était une de ces plantes qui mûrissent avant le temps. Rien ne rappelait en elle la jeune fille de ces climats et de ce sang tempéré de la famille où elle était née. Quelque chose de méridional et de chaleureux caractérisait sa beauté. Ses cheveux, châtain foncé, étaient moins soyeux au regard, moins souples à la main que ceux de ses sœurs ; ils étaient comme hâlés par le soleil de Naples ou d’Espagne. Ses yeux, presque noirs, tant l’azur en était sombre, larges et à fleur de tête, étaient recouverts par une frange de cils plus longs que ceux d’aucune femme’que j’aie vue, excepté en Asie. Son front était raccourci par les cheveux qui poussaient plus bas, comme celui de mon père. Son nez était droit, court, un peu moins effilé que dans notre race ; ses lèvres un peu plus modelées montraient, quand elle souriait, des dents d’un émail plus mat, d’une ordonnance plus parfaite et d’une forme plus petite que les nôtres. L’ovale de ses joues s’arrondissait davantage ; sa peau, moins fine et moins blanche, avait les tons chauds et colorés de foyer intérieur que les peintres romains donnent sous leur pinceau aux figures de Judith ou de Sophonisbe, dans la Chasteté de Scipion. Cette carnation n’était pas de la moire, mais du velours de fraîcheur et de vie. La voix aussi avait chez elle un timbre plus mâle et des vibrations plus pleines que chez ses sœurs. On eût dit qu’elle parlait la langue de Dante avec l’accent de Sienne ou de Florence. En tout, c’était une jeune fille romaine éclose par un caprice du hasard dans un’nid des Gaules, un souffle du vent du midi qui avait traversé les Alpes pour venir animer ce corps, un rayon de la côte de Sorrente ou de Portici, incrusté en chaleur et en splendeur sur un front dépaysé dans le Nord. Sa beauté, bien différente de celle de Suzanne, et bien supé-