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populaire. On lui croyait dans l’âme un peu de dédain, à cause de sa supériorité.

Après ces deux sœurs aînées, de tailles égales, mais de figures si opposées, on en voyait une troisième, de taille presque aussi grande, quoiqu’elle n’eût pas quinze ans, mais qui se tenait un peu en arrière avec les deux plus petites. Elle se nommait Suzanne. Pour celle-la, tous les regards et toutes les exclamations étaient d’accord. Il n’y avait ni préférence, ni contestation dans la ville. Il n’y avait qu’un cri d’enthousiasme pour sa merveilleuse beauté. C’était la pureté des lignes et la virginité des expressions de visage des madones de Raphaël sur le corps d’une Psyché de Phidias : la vierge chrétienne, aussi chaste, aussi pure et aussi céleste qu’il soit donné à l’extase du solitaire le plus pieux et le plus passionné pour le culte de la femme divinisée, de la rêver. On l’appelait, dans le peuple, le tableau d’autel, parce qu’il y avait dans le chœur de l’église une figure de sainte, par Mignard, qui lui ressemblait. Cette forme, véritablement trop angélique pour une fille de la terre, et ce visage d’idéale perfection de traits ne contenait que deux empreintes : beauté et piété. Elle n’était évidemment pas née pour plaire aux hommes et pour aimer, mais pour éblouir et pour adorer. C’était un de ces êtres que Dieu montre aux hommes, mais qu’il se réserve pour son culte ; une enfant du chœur de son temple surnaturel, une constellation du ciel, des yeux qu’on voit de loin, qu’on ne touche jamais. Elle avait, dès ce monde-ci, l’instinct et comme le pressentiment inné de sa vocation unique de refléter Dieu et de l’adorer. Elle était la prière vivante et la contemplation agenouillée. Ma mère ne pouvait pas l’arracher aux autels. Elle lui avait inspiré de trop bonne heure un souffle