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dans tes mains ! L’acquisition de cette maison, indispensable pour l’instruction et pour les mariages de tes sœurs, l’économie des petites dots que nous devons préparer d’avance successivement pour elles, enfin les mauvaises récoltes de ces dernières saisons à Milly, qui ont trompé nos espérances, ont réduit ton père au plus strict nécessaire dans ses dépenses. Il vit d’angoisses ; ces tourments d’esprit, cette contention forcée de calcul, altèrent la grâce et la sérénité de son caractère. Il craint de laisser sans patrimoine ses enfants qu’il a mis au monde et qu’il aime tant. Il se reproche quelquefois cette nombreuse famille qui lui donnait tant de joie et tant d’orgueil quand vous étiez petits. Je suis obligée de le rappeler sans cesse à la confiance en Dieu, qui fait pousser une herbe pour tous les insectes et une graine sur tous les buissons pour tous les nids.

« Depuis quelque temps, afin de calmer ses inquiétudes et de lui élargir le pain quotidien, je me suis chargée de tenir à forfait la maison pour une petite pension de quatre mille francs qu’il me paye en argent chaque trimestre, et à laquelle il ajoute le blé, le bois, le foin, les légumes, les fruits et toutes les petites récoltes du jardin, des prés, des terres non plantées en vignes de Milly. Cela ne suffit pas aux gages des domestiques, aux appointements des maîtres et des maîtresses de tes sœurs, à leur toilette et à la mienne, toutes modestes qu’elles soient, et à la décence obligée et élégante de la maison de mère de famille que je suis obligée de tenir, non selon la fortune, mais selon le rang.

« Mais Dieu m’a donné, tu le sais, dans notre voisine, cette bonne madame Paradis, une sœur et une amie qui veut partager avec moi non-seulement les jouissances, mais les peines et les embarras de la famille. Elle est la