Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En revenant sur le palier, on entrait à gauche dans la chambre de notre père, appartement vaste, mais assombri par les mur noirs d’une maison de religieuses qui empiétait de ce côté sur le jardin et sur le ciel ; à droite, dans la chambre encore plus vaste de ma mère ; on y descendait par trois marches d’une porte vitrée dans le jardin. Le soleil l’inondait depuis le matin jusqu’au soir. Une espèce d’aile ajoutée à la maison formait à côté de cette chambre un beau cabinet qu’on appelait le cabinet des Muses. Il servait à ma mère de retraite pour écrire, et d’oratoire pour prier avec ses filles quand elles voulaient se recueillir un moment contre les perpétuelles distractions d’une famille jeune et nombreuse, et d’une plus nombreuse parenté.

La boiserie de ce cabinet, sculpté depuis le plafond, formait dix niches contenant chacune une console. Sur chaque console posait la statue en bois d’une des neuf muses avec ses attributs mythologiques. La dixième niche contenait une statue en bois d’Apollon. Le dessus de porte représentait, également sculpté, Jupiter descendant du ciel et ouvrant les rideaux de Danaé, épouvantée de ses foudres. Toutes ces figures étaient recouvertes d’une épaisse couche de peinture à l’huile. Ce vernis gris blanc leur donnait une apparence de froideur et de mort qui glaçait l’imagination. Mes plus jeunes sœurs n’y entraient jamais sans une religieuse admiration et sans un certain frisson. Mais ma mère avait sanctifié toute cette fable par son prie-Dieu de bois sombre, par son Christ d’ivoire éclatant sur un fond de velours noir dans le demi-jour de ce cabinet toujours fermé au soleil, et par un beau tableau ovale de la Vierge présentant l’enfant Jésus à sa cousine peint par Coypel, et copié au pastel par une de ses sœurs, madame de Vaux.