Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que c’est un homme, je ne rougis pas devant l’autre parce que c’est une idée ; quand je parle ou quand j’écris devant le public, je me sens aussi libre et aussi affranchi de ces susceptibilités d’homme à homme que si je parlais ou si j’écrivais devant Dieu et dans le désert ; la foule est une solitude ; on la voit, on sait qu’elle existe, mais on ne la connaît qu’en masse. Comme individu, elle n’existe pas. Or, cette pudeur dont vous parlez étant le respect de soi-même devant quelqu’un ; du moment qu’il n’y a personne de distinct à force de multitude, ou serait le motif de cette pudeur ! Psyché rougit sous une lampe, parce que la main d’un seul Dieu la promène de près sur son beau corps ; mais que le soleil la regarde de ses mille rayons du haut de l’Olympe, cette personnification de l’âme pudique ne rougira pas devant tout un ciel. C’est la parfaite image de la pudeur de l’écrivain devant un seul auditeur, et de la liberté de ses épanchements devant tout le monde. Vous m’accusez de violer le mystère devant vous ! Vous n’en avez pas le droit : je ne vous connais pas, je ne vous ai rien confié personnellement, à vous ; vous êtes un indiscret qui lisez ce qui ne vous est pas adressé. Vous êtes quelqu'un, vous n’êtes pas le public ; que me voulez-vous ? Je ne vous ai pas parlé, vous n'avez rien à me dire, et je n’ai rien à vous répondre.

C’est ainsi que pensaient saint Augustin, Platon, Socrate, Cicéron, César, Bernardin de Saint-Pierre, Montaigne, Alfieri, Chateaubriand et tous les hommes qui ont confié au monde les palpitations vraies de leur propre cœur. Gladiateurs réels du Colisée humain, qui ne jouaient pas des comédies de sentiment ou de style pour distraire une académie, mais qui luttaient et mouraient réellement sur la scène du monde, et qui écri-