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mon adolescence, en a-t-elle recueilli autre chose que quelques larmes de jeunes filles sur un tombeau de Portici ? Mes maîtres, ces pieux jésuites de Belley, dont je n’aime pas le nom, mais dont je vénère la vertu ; mes amis les plus chers et les premiers moissonnés, Virieu, Vignet, l’abbé Dumont, pourraient-ils se plaindre, s’ils revenaient ici-bas, de ce que j’ai défiguré leurs belles natures, décoloré leurs nobles images, ou souillé leurs places dans la vie ? J’en appelle à ceux qui ont lu ! Une seule ombre me commanderait-elle d’effacer une seule ligne ? Beaucoup de ceux dont j’ai parlé vivent encore, ou leurs sœurs vivent, ou leurs amis vivent ; les ai-je humiliés ? Ils me l’auraient dit. Non ! je n’ai embaumé que les souvenirs purs. Mon linceul était pauvre, mais il était sans tache. Les noms modestes que j’y avais ensevelis pour moi seul n’en seront ni parés ni déshonorés. Aucune tendresse ne me fera un reproche ; aucune famille ne m’accusera de l’avoir profanée en la nommant. Une mémoire est une chose inviolable, parce que c’est une chose muette ; il ne faut y toucher que pieusement. Je ne me consolerais jamais si j’avais laissé tomber de cette vie, dans cette autre vie d’où l’on ne peut répondre, un mot qui pourrait blesser ces immortels absents qu’on appelle les mânes. Je ne voudrais pas même qu’un mot réfléchi, hostile à quelqu’un, restât après moi contre un des hommes qui me survivront un jour. La postérité n’est pas l’égout de nos passions ; elle est l’urne de nos souvenirs ; elle ne doit conserver que des parfums.

Ces Confidences n’ont donc fait de mal ni de peine à personne, parmi les vivants ou parmi les morts. Je me trompe, elles ont fait du mal à moi, mais à moi seul. Je me suis peint tel que je fus : une de ces natures, hélas !