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tude de l’âme, ce désert de l’indifférence, cette sécheresse de la vie, que j’aurais voulu mourir tout de suite pour retrouver l’ombre de Graziella, puisque je ne pouvais retrouver sa ressemblance dans aucune des femmes étourdies, légères, évaporées que j’avais rencontrées depuis.


XXX


Pendant que, le front dans mes mains, je me noyais ainsi dans ce deuil de ma propre sensibilité sans objet, je fus distrait de ma rêverie par l’harmonieux grincement de cordes d’un de ces instruments champêtres que les jeunes Savoyards fabriquent dans les soirées d’hiver de leurs montagnes et qu’ils emportent avec eux dans leurs longs exils en France et en Piémont, pour se rappeler, par quelques airs rustiques, par quelques ranz des vaches, les images de leur pauvre patrie. Ils appellent ces instruments des vielles, parce qu’ils jasent plus qu’ils ne chantent et que les refrains s’en prolongent en s’affaiblissant, en détonnant, et chevrotent comme les voix des femmes âgées dans les veillées de village.

Je me tournai du côté d’où partaient ces sons très-rapprochés. Je vis, sans pouvoir être vu, à quelques pas de moi, un groupe qui n’est jamais depuis sorti de ma mémoire, dont j’ai reproduit depuis une partie dans le poëme de Jocelyn, et que le pinceau de Greuze aurait pris pour sujet d’un de ses plus naïfs et de ses plus touchants tableaux.