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vant moi. Il semble que mon sort soit d’être un exilé de la vie active, vivant sur la terre des autres, et n’étant chez soi nulle part que dans le désert et dans la contemplation ! »

A défaut de mes forces intellectuelles appliquées à quelque emploi utile et glorieux de ma vie, j’aurais voulu du moins employer la puissance d’attachement et d’amour qui me serre le cœur jusqu’à l’étouffer, faute de pouvoir serrer un autre être contre ce cœur. Cela même m’est enlevé. Je suis seul dans le monde des sentiments comme dans le monde de l’intelligence et de l’action. Quand j’ai rencontré Graziella, il était trop tôt : mon cœur était trop vert pour aimer. Plus tard les cœurs des femmes que j’ai entrevues étaient des vases dont les parfums naturels s’étaient évaporés et qui n’égaient plus remplis que des vanités, des légèretés ou des voluptés, des faussetés de l’amour du monde, cette lie de l’âme dont j’ai été bien vite dégoûté. Maintenant personne ne m’aime, et je n’aime personne ; je suis sur la terre comme si je n’y étais pas ; ce rocher s’écroulerait sur moi, cette langue fulminante d’eau n’emporterait avec elle et me pulvériserait au fond de ce gouffre, que personne, excepté ma mère, ne s’apercevrait qu’un être manquea son cœur. « Eh quoi ! poursuivais-je intérieurement, n’y a-t-il donc pas sur la terre une seconde Graziella, dans quelque rang qu’elle soit née ? N’y a-t-il pas une âme jeune, pure, aimante, dans laquelle la mienne sc fondrait et qui se perdrait dans la mienne, et qui compléterait en moi, comme je compléterais en elle, cet être imparfait, errant et gémissant tant qu’il est seul, fixé, consolé, heureux dès qu’il a échangé son cœur vide contre un autre cœur ? »

Et je sentais si douloureusement l’ennui de cette soli-