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jusqu’au fond et on ne voit que des âmes limpides. Si je regardais au fond de moi-même, il me faudrait des heures entières pour démêler tout ce qui s’agite en moi...

Et cependant je n’ai plus aucune passion ici-bas ; mais le cœur n’est jamais si lourd que quand il est vide. Pourquoi ? C’est qu’il se remplit d’ennuis. Oh ! oui, j’ai une passion, la plus terrible, la plus pesante, la plus rongeuse de toutes... l’ennui !

J’ai été un insensé. J’ai rencontré le bonheur et je ne l’ai pas reconnu ! ou plutôt je ne l’ai reconnu qu’après qu’il était hors de portée ? Je n’en ai pas voulu. Je l’ai méprise. La mort l’a pris pour elle. O Graziella ! Graziella !... pourquoi t’ai-je abandonnée ?... Les seuls jours délicieux de ma vie sont ceux que j’ai vécu près de toi, dans la pauvre maison de ton père, avec ton jeune frère et ta vieille grand-mère, comme un enfant de la famille ! Pourquoi n’y suis-je pas resté ? Pourquoi n’ai-je pas compris d’abord que tu m’aimais ? Et, quand je t’ai comprise, pourquoi ne t’ai-je pas aimée assez moi-même pour te préférer à tout, pour ne plus rougir de toi, pour me faire pêcheur avec ton père, et pour oublier, dans cette simple vie et dans tes bras, mon nom, mon pays, mon éducation, et tout le vêtement de chaînes dont on a habillé mon âme, et qui l’entrave à chaque pas quand elle veut rentrer dans la nature ?

A présent, c’est trop tard... Tu n’as plus rien à me donner qu’un éternel remords de t’avoir quittée !... et moi rien à te donner que ces larmes qui me remontent aux yeux quand je pense à toi, larmes dont je cache la source et l’objet, de peur qu’on ne dise : « Il pleure la fille d’un pauvre vendeur de poisson, qui ne portait pas même de souliers tous les jours, qui séchait les figues de