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dessus de cette terre qu’ils voyaient de loin sous leurs pieds, au-dessous de ce ciel qu’ils voyaient de si près sur leurs têtes, tout concourait à les précipiter, à les enserrer dans une étreinte morale par tous les liens de leur âme ; à leur faire chercher uniquement dans le cœur l’un de l’autre cette vie qui s’était rétrécie et comme anéantie autour d’eux. Vie doublée ainsi au moment où ils étaient menacés de la perdre, qui n’avait que la solitude pour scène et que la contemplation pour aliment.


XXII


Furent-ils assez prudents pour prévoir si jeunes les dangers de ces éternelles séductions de leur solitude ? Furent-ils assez forts pour y résister en les éprouvant ? S’aimèrent-ils comme un frère et comme une sœur ? Se promirent-ils de plus tendres noms ? Qui peut le dire ? Je les ai connus intimement tous les deux. Ni l’un ni l’autre n’avouèrent jamais rien sur cette année aventureuse. Seulement, quand ils se rencontraient de longues années après, ils évitaient de se regarder devant le monde. Une ombre subite mêlée de rongeur et de pâleur se répandait sur leur visage, comme si le fantôme du temps invisible pour nous eût passé devant eux en leur jetant ses reflets magiques. Était-ce tendresse mal éteinte ? passion rallumée par un souffle sous la cendre ? indifférence agitée de souvenir ? regrets ou remords ? Qui peut lire dans deux cœurs fermés des caractères effacés par des torrents de larmes et qui ne revivent que sous l’œil de Dieu ?