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donnait à ses paroles et à sa voix une certaine langueur découragée toute concordante à mes propres langueurs d’esprit. On sentait un mystère douloureux et contenu sous ses épanchements. On voyait qu’il ne disait pas tout, et qu’un dernier secret s’arrêtait sur ses lèvres. Ce mystère, je ne cherchais point à le lui arracher, il ne me l’aurait jamais confié lui-même. Entre un aveu de cette nature et l’amitié la plus intime avec un jeune homme de mon âge, il y avait les convenances sacrées de son caractère sacerdotal. Mais les chuchotements des femmes du village commencèrent à m’en révéler confusément quelque rumeur, et plus tard je connus ce mystère de tristesse dans tous ses détails. Le voici :

A l’époque où l’évêque de Mâcon avait été chassé de son palais par la persécution contre le clergé et emprisonné, l’abbé Dumont n’était qu’un jeune et beau secrétaire ; il rentra chez le vieux curé de Bussières, qui avait prêté serment à la constitution. Il se répandit dans le monde, se mêla, avec l’ascendant de sa figure, de son courage et de son esprit, aux différents mouvements d’opinion qui agitaient la jeunesse de Mâcon et de Lyon à la chute de la monarchie et au commencement de la république. Il se fit remarquer surtout par son antipathie et par son audace contre les jacobins. Poursuivi comme royaliste sous la terreur, il finit par s’enrôler dans ces bandes occultes de jeunes gens royalistes qui se ramifiaient et se donnaient la main depuis les Cévennes jusqu’aux campagnes de Lyon.

Intrépide et aventureux, il se lia, par la conformité des opinions et par le hasard des rencontres, des combats et des dangers de la guerre civile, avec le fils d’un vieux gentilhomme du Forez. Le château de cette famille était situé dans une vallée sauvage, sur un mamelon