Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieille mère et pour former sa nièce, d’aller lui-même quelquefois surveiller le pain au four, le rôti à la broche, les œufs ou les légumes sur le feu, et d’assaisonner de sa main les mets simples ou étranges que nous mangions ensemble, en nous égayant sur l’art du maître d’hôtel. C’est ainsi que j’appris moi-même à accommoder de mes propres mains ces aliments journaliers du pauvre habitant de la campagne, et à trouver du plaisir et une certaine dignité paysanesque dans ces travaux domestiques du ménage, qui dispensent l’homme de la servitude de ses besoins, et qui l’accoutument à redouter moins l’indigence ou la médiocrité.


XII


Après le souper, nous nous entretenions, tantôt les coudes sur la nappe, tantôt au clair de lune sur la galerie, de ces sujets qui reviennent éternellement, comme des hasards inévitables, dans la conversation de deux solitaires sans autre affaire que leurs idées : le sort de l’homme sur la terre, la vanité de ses ambitions, l’injustice du sort envers le talent et la vertu, la mobilité et l’incertitude des opinions humaines, les religions, les philosophies, les littératures des différents âges et des différents peuples, la préférence à donner à tel grand homme sur tel autre, la supériorité de tel orateur ou de tel écrivain sur les orateurs et les écrivains ses émules la grandeur de l’esprit humain dans certains hommes la petitesse dans certains autres ; puis des lectures de passages de tel ou tel écrivain pour justifier nos jugements ou motiver nos préférences ; des fragments de