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j’étais volontairement enveloppé. Les seuls bruits de la vie qui pénétrassent dans la maison étaient lointains et monotones comme les bruits des champs. Ils sont restés depuis dans mon oreille.

Je crois entendre encore les coups cadencés des fléaux qui battaient la moisson, au soleil, sur l’aire de glaise durcie de la cour ; les bêlements des chèvres sur la montagne ; les voix d’enfants jouant dans le chemin au milieu du jour ; les sabots des vignerons revenant le soir de l’ouvrage ; le rouet des pauvres fileuses assises sur le seuil de leurs portes, ou les grincements aigus et stridents de la cigale qui ressemblaient à un cri arraché par la brûlure des rayons du midi dans la vapeur embrasée qui s’exhalait des carrés du jardin.

Les mois se passaient à lire, à rêver, à errer nonchalamment tout le jour, de ma chambre haute au salon désert ; du salon à l’étable, où je me couchais avec le chien sur la litière fraîche que je faisais moi-même à mon cheval oisif ; de l’étable au jardin, où j’arrosais quelques planches de laitue ou de petits pois ; du jardin sur la montagne pelée qui le domine, où je me cachais parmi les plantes de buis, seul feuillage qui résiste par son amertume à la dent des chèvres. De là, je regardais au loin les cimes de neige dentelées des Alpes, qui me semblaient et qui me semblent encore le rideau d’une terre trop splendide pour des hommes. J’écoutais avec des délices de recueillement et de tristesse les tintements mélancoliques des clochettes de ces troupeaux qui ne demandent pour tout bonheur à la terre qu’un peu d’herbe à brouter sur ses flancs.

J’aurais écrit des volumes si j’avais noté les intarissables impressions, impressions, frissons de cœur, pensées, joies intérieures ou mélancoliques qui traversaient mes sens ou