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II


La plus jeune des filles du comte de Maistre, qui n’avait alors que dix-sept ou dix-huit ans, portait sur son front, dans ses yeux, sur ses lèvres, les rayons du génie de son père. C’était une fille du Sinaï, toute resplendissante des lueurs du buisson sacré, tout inspirée des doctrines théocratiques de la famille. Elle copiait les écrits de son père ; elle écrivait, dit-on, elle-même des pages que sa modestie seule empêchait d’éclater d’un talent naturel à sa maison. C’était une Corinne chrétienne à quelques lieues au bord d’un autre lac de la Corinne philosophe et révolutionnaire de Coppet. Je n’ai jamais rien lu de cette jeune fille, mais son éloquence était virile, nerveuse et accentuée comme sa voix. L'inspiration religieuse ou politique dont elle était involontairement saisie la soulevait par moments du banc de gazon où elle était assise près de nous. Elle marchait en parlant sans s’apercevoir qu’elle marchait. Ses pieds semblaient ne pas toucher la terre, comme ceux des fantômes ou des sibylles qui sortent du sol enchanté. Elle avait des pages de paroles alors emportées par le vent qui auraient été dignes des premiers penseurs et des premiers écrivains du siècle. Nous pâlissions en l’écoutant. Le nom de son père a lui sur elle depuis. La fortune inattendue est venue la chercher dans sa modeste obscurité. Je ne sais ce qu’elle aura fait de son génie, arme pour un homme, fardeau pour une femme. Je crois qu’elle l’aura changé en vertus, comme ses richesses en bienfaits.