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ne s’en inquiétait pas. Il aurait dépensé son âme pour moi sans compter avec sa propre vie. Comment aurait-il compté avec sa fortune ?

Moi-même je ne lui faisais pas l’affront d’être reconnaissant. Ma reconnaissance, c’était de ne pas compter et de ne rien séparer entre nous. Combien n’y a-t-il pas à lui dans ce qui est aujourd’hui à moi ? Esprit, âme, cœur, fortune, Dieu seul pourrait dire : « Ceci est de l’un, ceci est de l’autre. » Les hommes ainsi unis devraient pouvoir confondre leur mémoire de même qu’ils ont confondu leur vie, et s’appeler du même nom dans la postérité comme un être collectif. Cela serait à la fois plus vrai et plus doux. Pourquoi deux noms où il n’y eut, en réalité, qu’un seul homme ?


XX


Il épousa, quelques années après, une jeune personne dont la grâce modeste, la vertu et l’attachement passionnés ensevelirent pour jamais sa vie dans l’obscurité d’une félicité domestique. Son esprit si supérieur ne faiblit pas, mais il s’abattit du nuage sur le sol. Son âme, autrefois curieuse et sceptique, crut avoir trouvé la vérité dans le bonheur et le repos, dans la foi de sa mère. Il se renferma dans l’amour de sa femme et de ses enfants. Il borna sa vie et n’en franchit plus la borne. Son cœur ne sortait de cette enceinte de famille que par l’amitié pour moi, qui s’était conservée en lui tout entière. Du bord où il s’était assis, il me regardait marcher, monter ou tomber. Il croyait plus au passé qu’à l’avenir, comme tous les hommes fatigués du temps. Il s’intéressait peu aux