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faire des lectures pendant qu’elle peignait, ou à concevoir pour elle des sujets de tableaux auxquels la rapide improvisation de son crayon donnait à l’instant la forme et la vie. Elle adorait son frère et elle s’intéressait à moi à cause de lui. Madame de Virieu, assise dans un grand fauteuil, au coin de la cheminée, silencieuse et recueillie dans la tristesse et dans la prière intérieure, présidait ces studieuses soirées de famille ; elle jetait de temps en temps un regard tendre et un sourire distrait de notre côté, comme pour nous dire : « Je ne participe à une joie de la terre que par vous. »

La vie calme et innocente de cette sainte maison me rafraîchissait et me reposait le cœur, presque toujours agite ou fatigué de passions. C’était le recueillement de mes jeunes années.

Au moment de la chute de l’empire, que Virieu et tous les jeunes gens de ce temps ne détestaient pas moins que moi, nous entrâmes ensemble dans la maison militaire du roi. Nous en sortîmes ensemble quand cette garde fut licenciée. Nous entrâmes ensemble dans la carrière diplomatique. Il suivit le duc de Richelieu en Allemagne. Il fut attaché à l’ambassade du duc de Luxembourg au Brésil. Il accompagna M. de la Ferronnays au congrès de Vérone. Il fut secrétaire de la légation à Turin et à Munich. Des peines secrètes altérèrent sa santé. Il quitta la diplomatie et rentra dans sa famille. Ces absences, que nous remplissions d’une correspondance de tous les jours, n’avaient relâché en rien les liens de notre amitié ; Nous nous entendions de plus loin, voila tout. Notre bourse était commune comme l’étaient nos pensées. Combien de fois n’a t-il pas comblé de sa fortune les insuffisances et les désastres de la mienne ? Il ne savait pas si je le rembourserais jamais, il