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d’harmonie dans ces nombreuses facultés. Ses yeux étaient bleus, mais aussi brillants que des yeux noirs. C’était là qu’étaient reflétés toute la grâce et tout le rayonnement de son âme. Le reste de sa figure était de la force mêlée d’un peu de rudesse. Le regard tremblait comme de la lumière dans l’eau. Son nez, comme celui de Socrate, était relevé et renflé aux narines par les muscles fins de l’ironie. Sa bouche, trop ouverte, était celle de l’orateur qui lance la parole plutôt que celle du philosophe qui la médite.

Il avait dans l’attitude, dans le geste, dans le mot, un certain dédain de la foule et un sentiment intérieur de supériorité de race et de fierté de naissance qui rappelait ces habitudes de familles nobles où l’on regarde du haut en bas. Son esprit était si vaste, si plein, si disponible, qu’il était pour ainsi dire débordant et embarrassé du trop grand nombre de ses aptitudes, stérilisé par l’excès même de fécondité, comme ces hommes à qui une imagination trop active fournit trop de mots à la fois sur les lèvres, et qui, par excès même de paroles, finissent par balbutier.

Il balbutiait en effet et bégayait dans son enfance. Sa parole ne devint calme et claire que quand le bouillonnement de la jeunesse fut apaisé. Bien qu’il fût presque toujours le dernier dans toutes les classes, ses camarades et ses maîtres le regardaient d’un commun accord comme le premier. Il était entendu qu’il l’aurait été s’il l’avait voulu ; mais son esprit était rarement où on voulait le conduire ; il était aux mathématiques quand nous étions au latin, à l’histoire quand nous expliquions les poëtes, aux poëtes quand il s’agissait des philosophes. On lui passait tout cela. Il arrivait autrement, mais il arrivait toujours, seulement il n’arrivait pas à l’heure. Son esprit