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XI


Je pris le prétexte d’un voyage dans les montagnes méridionales de la Suisse. Je quittai le château, non sans tristesse dans les yeux de mes hôtes et dans les miens. Je me retournai souvent pour le regretter et pour le bénir des yeux. Je parcourus seul, à pied, et dans le costume d’un ouvrier qui voyage, les plus belles et les plus sauvages parties de l’Helvétie. Après trois semaines de cette vie errante, je revins au bord du lac de Genève, et je m’arrêtai dans la partie de la côte qui fait face au pays de Vaud, et que J.-J. Rousseau a si justement préférée au reste de ses bords. Je me mis en pension, pour quelques sous par jour, chez un batelier du Chablais, dont la maison un peu isolée tenait à un petit village. Le métier de cet homme était de passer une ou deux fois par semaine les paysans d’une rive à l’autre rive, de pêcher dans le lac et de cultiver un peu de champs. Il avait pour toute famille une fille de vingt-cinq ans qui tenait son ménage, et qui donnait à manger aux pêcheurs et aux passants. A environ trois cents pas de la maison habitée par ce brave homme et par sa fille, il y avait une autre maison inhabitée qui leur appartenait aussi, et qui servait seulement de temps en temps à loger quelques voyageurs ou quelques douaniers en observation.

La maison ne contenait qu’une chambre au-dessus d’une cave. Je la louai. Elle était située dans un terrain plat, à la lisière d’une longue forêt de châtaigniers, et bâtie sur la grève même du lac, dont les flots bruissaient contre le mur. Ma chambre avait pour tout meuble un