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aux yeux noirs qui parlait en gesticulant à une autre femme dont la figure aurait pu servir de type à la seule vraie beauté, la beauté qui charme et qui entraîne. Quatre autres femmes jeunes et belles aussi suivaient dans la seconde voiture. Aucune d’elles ne fit attention à moi. Je suivis longtemps des yeux la trace fuyante des voitures. Ql’aurais bien voulu suspendre la course des chevaux, mais madame de Staël était bien loin de se douter que l’admiration la plus passionnée s’élevait vers elle des bords poudreux du fossé. Il ne me resta de sa personne qu’une image indécise et confuse qui ne fixa rien dans mon admiration.

La figure ravissante de madame Récamier s’y grava davantage. L’impression du génie s’oublie ; l’impression de l’attrait est impérissable. Le beauté a un éclair qui foudroie. Celle de madame Récamier n’était si puissante et si achevée que parce qu’elle était l’enveloppe modelée sur son intelligence et sur son âme. Ce n’était pas son visage seulement qui était beau, c’était elle qui était belle. Cette beauté, qui était alors du roman, sera un jour de l’histoire. Aussi rayonnante qu’Aspasie, mais Aspasie pure et chrétienne, elle fut l’objet du culte d’un plus grand génie que Périclès. Je ne connus donc jamais madame de Staël, mais plus tardje la reconnus dans sa fille, madame la duchesse de Broglie. C’était peut-être ainsi qu’il fallait la connaître pour la contempler sous sa plus sublime incarnation.

Dans madame de Broglie, toute cette passion était devenue beauté, tout ce feu était devenu chaleur, tout ce génie était devenu vertu. Mourir en laissant une telle trace de soi au monde, c’était, pour madame de Staël, une apothéose vivante que le ciel devait à sa gloire. Ce fut en 1819 que je vis pour la première fois madame la