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inquiétude sur les troupes et sur le peuple. Sa bouche souriait mécaniquement à la foule pendant que sa pensée était visiblement ailleurs. Un certain air de doute et d’hésitation se trahissait dans tous ses mouvements. On voyait que le terrain n’était pas solide sous ses pieds, et qu’il tâtonnait sur le trône avec sa fortune. Il ne savait pas bien si son entrée à Paris était un succès ou un piége de son étoile. Les troupes, en défilant devant lui, criaient : Vive l’empereur ! avec l’accent concentré du désespoir. Le peuple des faubourgs proférait les mêmes clameurs d’un ton plus menaçant qu’enthousiasme. Les spectateurs se taisaient et échangeaient des paroles à voix basse et des regards d’intelligence. On voyait facilement que la haine convoitait et épiait une chute au milieu de l’appareil de sa force et de son triomphe. La police interrogeait les physionomies. Les cris de liberté se mêlaient aux cris d’adulation et de servitude. Cela ressemblait plus à un empereur dans une scène du Bas-Empire qu'au héros de l’Égypte et du consulat. C’était le 18 brumaire qui se vengeait.

Je sortis de Paris, ce grand et héroïque suborneur de la révolution, avec toute mon énergie et avec le pressentiment de la liberté future.


III


Rentré dans ma famille, les décrets impériaux de nouvelles levées de troupes se succédèrent et vinrent troubler la sécurité de mon père. Il fallait ou rentrer dans les rangs des jeunes soldats mobilisés pour l’armée, ou acheter un homme qui m’y remplaçât au service de