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laisserait que des regrets et peut-être un jour des remords ; qu’ainsi je ne passerais pas la frontière, et que, sans vouloir blâmer le sentiment opposé dans mes camarades, j’engageais ceux qui pensaient comme moi à se ranger de mon côté.

Ces paroles firent une vive impression, et la masse se prononça contre l’émigration. Ceux qui persistèrent à suivre les princes montèrent à cheval et sortirent de la ville. Nous nous enfermâmes dans Béthune déjà cerné par les troupes que l’empereur avait envoyées de Paris pour observer la retraite du roi. Réduits par l’absence de chefs et par le défaut de commandement à nous commander nous-mêmes, nous établîmes des postes peu nombreux aux principales portes, et nous fîmes des patrouilles de jour et de nuit sur les remparts. Je couchai trois jours et trois nuits au corps de garde de la porte de Lille, avec un excellent ami nommé Vaugelas, distingué depuis dans la magistrature et dans la politique. Nous capitulâmes le quatrième jour. Licenciés par le roi, nous fûmes licenciés de nouveau par le général bonapartiste qui entra dans Béthune. On nous laissa libres de rentrer individuellement dans nos familles. Paris seul nous fut interdit.

J’y rentrai néanmoins à la faveur d’un habit de ville et d’un cabriolet que je me fis envoyer à Saint-Denis. J’y passai quelques jours pour étudier l’esprit public et pour juger par mes propres yeux des dispositions de la jeunesse et du peuple. Je vis l’empereur passer une revue sur le Carrousel. Il fallait le prisme de la gloire et l’illusion du fanatisme pour voir dans sa personne, à cette époque, l’idéal de beauté intellectuelle de royauté innée dont le marbre et le bronze ont depuis flatté son image afin de le faire adorer. Son œil enfoncé se promenait avec