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roïques, et que les peuples aussi passaient sous le joug. De ce jour je désespérai de la toute-puissance de l’opinion, et je crus plus quod decet à la puissance des baïonnettes. Ce fut mon premier désillusionnement politique. Le 20 mars et la mobilité d’une nation pliant devant quelques régiments me sont restés comme un poids sur le cœur.

L’histoire a déguisé la sujétion sous un feint enthousiasme. Mais il y a une histoire plus vraie que celle qu’on écrit pour flatter son siècle ; celle-la parlera un autre langage que les thuriféraires du grand peuple et du grand soldat. L’empire aura son Tacite, et la liberté sera vengée. En attendant, laissons mentir en paix cette histoire sans conscience, ces annalistes d’état-major et de caserne qui suivent l’armée comme on suivait les cours, qui dépravent le jugement du peuple en justifiant toujours la fortune, en adorant toujours l’épée, et qui ont dans l’âme un tel besoin de servitude, que, ne pouvant plus adorer le tyran, ils adorent du moins la mémoire de la tyrannie !…


II


Nous quittâmes Paris la nuit qui précéda l’entrée de Bonaparte dans Paris. Nous laissâmes la capitale dans l’agitation. Dans toutes les rues, sur tous les boulevards, dans tous les faubourgs, dans tous les villages où nous passions, le peuple se pressait sur nos pas pour nous couvrir de ses bénédictions et de ses vœux. Les citoyens sortaient de leurs portes et nous présentaient en pleurant du pain et du vin. Ils serraient nos mains dans les leurs ;