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Elle s’enveloppa d’un muet désespoir,
Et s’endormit aussi, mais bien avant le soir !

Mais pourquoi m’entraîner vers ces scènes passées ?
Laissons le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, à mes tristes pensées !
Je veux rêver et non pleurer !

Elle a dormi quinze ans dans sa couche d’argile,
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile,
Et le rapide oubli, second linceul des morts,
A couvert le sentier qui menait vers ces bords ;
Nul ne visite plus cette pierre effacée,
Nul ne songe et ne prie !… excepté ma pensée,
Quand, remontant le flot de mes jours révolus,
Je demande à mon cœur tous ceux qui n’y sont plus,
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d’étoiles éteintes !
Elle fut la première, et sa douce lueur
D’un jour pieux et tendre éclaire encore mon cœur !

Mais pourquoi m’entraîner vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ;
Revenez, revenez, à mes tristes pensées !
Je veux rêver et non pleurer !

Un arbuste épineux, à la pâle verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature ;
Battu des vents de mer du soleil calciné,
Comme un regret funèbre au cœur enraciné,
Il vit dans le rocher sans lui donner d’ombrage ;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage ;
Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés
Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés.
Une fleur au printemps, comme un flocon de neige,
Y flotte un jour ou deux ; mais le vent qui l’assiège
L'effeuille avant qu’elle ait répandu son odeur,
Comme la vie avant qu’elle ait charrié le cœur !