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XXXVI


Je restai anéanti, sa lettre dans les mains, jusqu’au jour. Ce n’est qu’alors que j’eus la force d’ouvrir la seconde enveloppe. Toute sa belle chevelure y était, telle que la nuit où elle me l’avait montrée dans la cabane. Elle était encore mêlée avec quelques-unes des feuilles de bruyère qui s’y étaient attachées cette nuit-là. Je fis ce qu’elle avait ordonné dans son dernier vœu. Une ombre de sa mort se répandit dès ce jour-là sur mon visage et sur ma jeunesse.

Douze ans plus tard je revins à Naples. Je cherchai ses traces. Il n’y en avait plus ni à la Margellina ni à Procida. La petite maison sur la falaise de l’île était tombée en ruine. Elle n’offrait plus qu’un monceau de pierres grises au-dessus d’un cellier où les chevriers abritaient leurs chèvres pendant les pluies. Le temps efface vite sur la terre, mais il n’efface jamais les traces d’un premier amour dans le cœur qu’il a traversé.

Pauvre Graziella ! Bien des jours ont passé depuis ces jours. J’ai aimé, j’ai été aimé. D’autres rayons de beauté et de tendresse ont illuminé ma sombre route. D’autres âmes se sont ouvertes à moi pour me révéler dans des cœurs de femmes les plus mystérieux trésors de beauté, de sainteté, de pureté que Dieu ait animés sur cette terre, afin de nous faire comprendre, pressentir et désirer le ciel. Mais rien n’a terni ta première apparition dans mon cœur. Plus j’ai vécu, plus je me suis rapproché de toi par la pensée. Ton souvenir est comme ces feux de la barque de ton père, que la distance dégage de