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jetées confusément sur son lit avec ses habits du matin.

À la place de ce pittoresque costume grec qui sied à la pauvreté comme à la richesse, qui laisse, par la robe tombante à mi-jambes, par l’échancrure du corsage et par l’entaille des manches, la liberté et la souplesse à toutes les formes du corps de la femme, les jeunes amies de Graziella l’avaient revêtue, à sa prière, des habits et des parures d’une demoiselle française à peu près de sa taille et de son âge dans le couvent. Elle avait une robe de soie moirée, une ceinture rose, un fichu blanc, une coiffe ornée de fleurs artificielles, des souliers de satin bleu, des bas à mailles de soie qui laissaient voir la couleur de chair sur les chevilles arrondies de ses pieds.

Elle restait dans ce costume sous lequel je venais de la surprendre aussi confondue que si elle eût été surprise dans sa nudité par un regard d’homme. Je la regardais moi même sans pouvoir en détacher mes yeux, mais sans qu’un geste, une exclamation, un sourire pussent lui révéler l’impression que j’éprouvais de son travestissement. Une larme m’était montée du cœur. J’avais tout de suite et trop bien compris la pensée de la pauvre enfant. Honteuse de la différence de condition entre elle et moi, elle avait voulu éprouver si un rapprochement dans le costume rapprocherait à mes yeux nos destinées. Elle avait tenté cette épreuve à mon insu, avec l’aide de ses amies, espérant m’apparaître tout à coup ainsi plus belle et plus de mon espèce qu’elle ne croyait l’être sous les simples habits de son île et de son état. Elle s’était trop trompée. Elle commençait à s’en apercevoir à mon silence. Sa figure prenait une expression d’impatience désespérée et presque de larmes qui me révélait son dessein caché, son crime et sa déception.

Elle était bien belle ainsi cependant. Sa pensée devait