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XXI


Hélas ! ce n’était pas le complet amour, ce n’en était en moi que l’ombre. Mais j’étais trop enfant et trop naïf encore pour ne pas m’y tromper moi-même. Je crus que je l’adorais comme tant d’innocence, de beauté et d’amour méritaient d’être adorés d’un amant. Je le lui dis avec cet accent sincère que donne l’émotion et avec cette passion contenue que donnent la solitude, la nuit, le désespoir, les larmes. Elle le crut, parce qu’elle avait besoin de le croire pour vivre et parce qu’elle avait assez de passion elle-même dans son âme pour couvrir l’insuffisance de mille autres cœurs.

La nuit entière se passa ainsi dans l’entretien confiant, mais naïf et pur, de deux êtres qui se dévoilent innocemment leur tendresse et qui voudraient que la nuit et le silence fussent éternels pour que rien d’étranger à eux ne vînt s’interposer entre la bouche et le cœur. Sa piété et ma réserve timide, l’attendrissement même de nos âmes, éloignaient de nous tout autre danger. Le voile de nos larmes était sur nous. Il n’y a rien de si loin de la volupté que l’attendrissement. Abuser d’une pareille intimité, c’eût été profaner deux âmes.

Je tenais ses deux mains dans les miennes. Je les sentais se ranimer à la vie. J’allais lui chercher de l’eau fraîche pour boire dans le creux de ma main ou pour essuyer son front et ses joues. Je rallumais le feu en y jetant quelques branches ; puis je revenais m’asseoir sur la pierre à côté du fagot de myrte où reposait sa tête pour entendre et pour entendre encore les confidences déli-