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couper moi-même pour vous prouver que je ne me réserve rien, et que ma tête subit d’avance le ciseau qui les couperait demain en me séparant du monde. »

À ces mots, elle écarta, de la main gauche le mouchoir de soie qui lui couvrait la tête, et prenant de l’autre le long écheveau de ses cheveux coupés et couchés à côté d’elle sur le lit de feuilles, elle me les montra en les déroulant. « La Madone a fait le miracle ! » reprit-elle avec une voix plus forte et avec un accent intime de joie. « Elle t’a envoyé ! J’irai où tu voudras. Mes cheveux sont à elle. Ma vie est à toi ! »

Je me précipitai sur les tresses coupées de ses beaux cheveux noirs, qui me restèrent dans les mains comme une branche morte détachée de l’arbre. Je les couvris de baisers muets, je les pressai contre mon cœur, je les arrosai de larmes comme si c’eût été une partie d’elle-même que j’ensevelissais morte dans la terre. Puis, reportant les yeux sur elle, je vis sa charmante tête qu’elle relevait toute dépouillée, mais comme parée et embellie de son sacrifice, resplendir de joie et d’amour au milieu des tronçons noirs et inégaux de ses cheveux déchirés plutôt que coupés par les ciseaux. Elle m’apparut comme la statue mutilée de la Jeunesse dont les mutilations mêmes du temps relèvent la grâce et la beauté en ajoutant l’attendrissement à l’admiration. Cette profanation d’elle-même, ce suicide de sa beauté pour l’amour de moi, me portèrent au cœur un coup dont le retentissement ébranla tout mon être et me précipita le front contre terre à ses pieds. Je pressentis ce que c’était qu’aimer et je pris ce pressentiment pour de l’amour !