Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XIX


Je me jetai à genoux à côté de la bruyère ; je pris ses deux mains glacées dans les miennes ; je les portai à mes lèvres pour les réchauffer sous mon haleine ; quelques larmes de mes yeux y tombèrent. Je compris, au serrement convulsif de ses doigts, qu’elle avait senti cette pluie du cœur et qu’elle m’en remerciait. J’ôtai ma capote de marin. Je la jetai sur ses pieds nus. Je les enveloppai dans les plis de la laine.

Elle me laissait faire en me suivant seulement des yeux avec une expression d’heureux délire, mais sans pouvoir encore s’aider elle-même d’aucun mouvement, comme un enfant qui se laisse emmailloter et retourner dans son berceau. Je jetai ensuite deux ou trois fagots de bruyère dans le foyer de la première chambre pour réchauffer un peu l’air. Je les allumai à la flamme de la lampe, et je revins m’asseoir à terre à côté du lit de feuilles.

« Que je me sens bien ! » me dit-elle en parlant tout bas, d’un ton doux, égal et monotone, comme si sa poitrine eût perdu à la fois toute vibration et tout accent et n’eût plus conservé qu’une seule note dans la voix. « J’ai voulu en vain me le cacher à moi-même, j’ai voulu en vain te le cacher toujours, à toi. Je peux mourir mais je ne peux pas aimer un autre que toi. Ils ont voulu me donner un fiancé, c’est toi qui es le fiancé de mon âme ! Je ne me donnerai pas à un autre sur la terre, car je me suis donnée en secret à toi ! Toi sur la terre, ou Dieu dans le ciel ! c’est le vœu que j’ai fait le premier jour où j’ai