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VIII


La veille de Noël, je rentrai plus tard que de coutume pour prendre ma place au souper de famille. Je m’aperçus de quelque froideur et de quelque trouble dans la physionomie évidemment contrainte d’Andréa et de sa femme. Levant les yeux sur Graziella, je vis qu’elle avait pleuré. La sérénité et la gaieté étaient si habituelles sur son visage que cette expression inaccoutumée de tristesse la couvrait comme d’un voile matériel. On eût dit que l’ombre de ses pensées et de son cœur s’était répandue sur ses traits. Je restai pétrifié et muet, n’osant interroger ces pauvres gens ni parler à Graziella, de peur que le seul son de ma voix ne fît éclater son cœur qu’elle paraissait à peine contenir.

Contre son habitude, elle ne me regardait pas. Elle portait d’une main distraite les morceaux de pain à sa bouche et faisait semblant de manger par contenance ; mais elle ne pouvait pas. Elle jetait le pain sous la table. Avant la fin du repas taciturne, elle prit le prétexte de mener coucher les enfants ; elle les entraîna dans leur chambre ; elle s’y renferma sans dire adieu ni à ses parents ni à moi, et nous laissa seuls.

Quand elle fut sortie, je demandai au père et à la mère quelle était la cause du sérieux de leurs pensées et de la tristesse de leur enfant. Alors ils me racontèrent que le père de Cecco était venu dans la journée à la maison ; qu’il avait demandé leur petite-fille en mariage pour son fils ; que c’était un bien grand bonheur et une haute fortune pour la famille ; que Cecco aurait du bien ;