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faisait tous ses efforts pour réussir. Elle appuyait son coude sur mon épaule pour lire dans le livre où mon doigt traçait la ligne et lui indiquait le mot à prononcer Quand elle écrivait, je tenais ses doigts dans ma main pour guider à demi sa plume.

Si elle faisait une faute, je la grondais d’un air sévère et fâché ; elle ne répondait pas et ne s’impatientait que contre elle-même. Je la voyais quelquefois prête à pleurer ; j’adoucissais alors la voix et je l’encourageais à recommencer. Si elle avait bien lu et bien écrit, au contraire, on voyait qu’elle cherchait d’elle-même sa récompense dans mon applaudissement. Elle se retournait vers moi en rougissant et avec des rayons de joie orgueilleuse sur le front et dans les yeux, plus fière du plaisir qu’elle me donnait que du petit triomphe de son succès.

Je la récompensais en lui lisant quelques pages de Paul et Virginie, qu’elle préférait à tout ; ou quelques belles strophes du Tasse, quand il décrit la vie champêtre des bergers chez lesquels Herminie habite, ou qu’il chante les plaintes ou le désespoir des deux amants. La musique de ces vers la faisait pleurer et rêver longtemps encore après que j’avais cessé de lire. La poésie n’a pas d’écho plus sonore et plus prolongé que le cœur de la jeunesse où l’amour va naître. Elle est comme le pressentiment de toutes les passions. Plus tard, elle en est comme le souvenir et le deuil. Elle fait pleurer ainsi aux deux époques extrêmes de la vie : jeunes, d’espérances, et vieux, de regrets.