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j’étais comme l’oiseau qui s’essaye à voler à de longues distances de la branche qui le porte, mais qui sait la route pour y revenir. Toute mon affection pour mon ami absent avait reflué sur Graziella. Ce sentiment avait même quelque chose de plus vif, de plus mordant, de plus attendri que celui qui m’attachait à lui. Il me semblait que je devais l’un à l’habitude et aux circonstances, mais que l’autre était né de moi-même, et que je l’avais conquis par mon propre choix.

Ce n’était pas de l’amour, je n’en avais ni l’agitation, ni la jalousie, ni la préoccupation passionnée ; c’était un repos délicieux du cœur au lieu d’être une fièvre douce de l’âme et des sens. Je ne pensais ni à aimer autrement ni à être aimé davantage. Je ne savais pas si elle était un camarade, un ami, une sœur ou autre chose pour moi ; je savais seulement que j’étais heureux avec elle et elle heureuse avec moi.

Je ne désirais rien de plus, rien autrement. Je n’étais pas à cet âge où l’on s’analyse à soi-même ce qu’on éprouve, pour se donner une vaine définition de son bonheur. Il me suffisait d’être calme, attaché et heureux, sans savoir de quoi ni pourquoi. La vie en commun, la pensée à deux, resserraient chaque jour l’innocente et douce familiarité entre nous, elle aussi pure dans son abandon que j’étais calme dans mon insouciance.


II


Depuis trois mois que j’étais de la famille, que j’habitais le même toit, que je faisais, pour ainsi dire, partie de sa pensée, Graziella s’était si bien habituée à me re-