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M. M***, était sensible. Je vis des larmes dans ses yeux. Il aurait donné son bénéfice pour me sauver cette peine ; mais il n’y avait plus à délibérer. Nous allâmes ensemble sur les lieux, sous un prétexte vague, pour examiner quelle partie du domaine pouvait le plus convenablement s’en détacher et se diviser en lots accessibles aux acquéreurs du voisinage. Mais c’est la que l’embarras devint plus insoluble et l’angoisse plus déchirante entre nous. Monsieur, me disait-il en étendant le bras et en coupant l’air du geste comme un arpenteur coupe le terrain, voilà un lot qui se vendrait facilement ensemble, et qui n’ébrécherait pas trop ce qui vous restera. - Oui, répondais-je, mais c’est la vigne qu’a plantée mon père l’année de ma naissance, et qu’il nous a toujours recommandé de conserver comme la meilleure pièce du domaine arrosé de sa sueur, en mémoire de lui. — Eh bien, reprenait l’appréciateur, en voilà un autre qui tenterait bien les acheteurs de petite fortune, parce qu’il est propre au bétail. — Oui, répliquais-je, mais cela ne se peut pas ; c’est la rivière, le pré et le verger où notre mère nous faisait jouer et baigner dans notre enfance, et où elle a élevé avec tant de soin ces pommiers, ces abricotiers et ces cerisiers pour nous. Cherchons ailleurs. — Ce coteau derrière la maison ? — Mais c’est celui qui bornait le jardin et qui faisait face et la fenêtre du salon de famille ! Qui pourrait maintenant le regarder sans larmes dans les yeux ? — Ce groupe de maisons détachées avec ces vignes en pente qui descendent dans la vallée ? — Oh ! c’est la maison du père nourricier de mes sœurs et de la vieille femme qui m’a élevé moi-même avec tant d’amour. Autant vaudrait leur acheter deux places au cimetière, car le chagrin de se voir chassés de leur toit et de leurs vignes ne tarderait pas à les y conduire. — Eh bien, la maison