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chute d’eau congelée au fond du ravin, sur laquelle les châtaigniers et les chênes penchaient leurs bras alourdis de neige, comme les vieillards de Lochlin sur la harpe des bardes.

Nous nous répondions par un regard d’admiration muette et d’intelligence intérieure. Nous marchions souvent une demi-heure ainsi, à côté l’un de l’autre quand je la conduisais jusqu’au bout de la vallée où demeurait son père, sans qu’on entendit d’autre bruit que le léger craquement de nos pieds dans le sentier de neige. Nous ne nous quittions pourtant jamais sans un soupir dans le cœur et sans une rougeur sur le front.

Les familles et les voisins souriaient de cette inclination qu’ils avaient aperçue avant nous. Ils la trouvaient naturelle et sans danger entre deux enfants de cet âge, qui ne savaient pas même le nom du sentiment qui les entraînait ainsi, et qui, loin de se déclarer cette prédilection l’un à l’autre, ne se l’expliquaient pas à eux-mêmes.


IX


Cependant ce sentiment se passionnait de jour en jour davantage en moi et en elle. Quand j’avais passé la soirée auprès d’elle, que j’avais reconduit sa famille jusqu’au torrent au-dessus duquel la maison de son père s’élevait sur un cap de rocher, il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et qu’on l’enfermait avec elle dans ces gros murs et sous cette porte retentissante. Je revenais à pas lents, sans suivre aucun sentier, à travers les taillis