Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la mer, le parfum des arbres, se répandirent sur les pages sans couleur et sans parfum, et lui firent l’illusion de l’inattendu et du lointain. Il en parut ému. Nous fermâmes le livre. Nous descendîmes à la plage ; nous visitâmes l’île dans la soirée, avec sa femme ; je lui donnai l’hospitalité d’une nuit, et il repartit.

Je restai jusqu’aux premières tempêtes d’automne à Ischia, et je repartis moi-même pour Saint-Point.

Des affaires pressantes m’y rappelaient : Res angusta domi, comme dit Horace ; triste mot que les modernes ont traduit par gêne domestique, embarras de fortune, difficulté de vivre selon son état. — Comment les connais-tu ? me dis-tu sans doute. Ne pouvais-tu pas t’en affranchir en servant honorablement ton pays, qui ne t’a jamais fermé la carrière de ses négociations largement rétribuées ? — C’est vrai, mais j’ai préféré, depuis 1830, servir à mes dépens dans l’armée de Dieu, soldat sans solde des idées qui n’ont pas de budget sur la terre. Quoi qu’il en soit, on me demandait inopinément le remboursement d’une somme considérable que j’avais empruntée pour racheter de ma famille la terre et la maison de ma mère, ce Milly que tu connaissais tant et où nous avons tant rêvé et tant erré ensemble quand tu avais seize ans et moi quinze. À la mort de ma mère, ce bien de cœur plus que de terre allait se vendre pour être partagé en cinq parts dont je n’avais pas une. Il allait passer à des inconnus. Mes sœurs et mes beaux-frères, aussi affligés que moi, m’offraient généreusement tous les moyens de sauver le dépôt commun de leurs souvenirs. J’étais plus riche alors ; je fis un effort surnaturel ; j’achetai Milly. J’espérais y finir mes jours. Le poids de cette terre dont je payai jusqu’au dernier cep avec de l’argent d’emprunt, m’écrasa longtemps. J’acceptai joyeusement ce poids pour