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connaissais que la douce et naturelle persuasion qui découlait pour moi des lèvres, des yeux, des moindres gestes de ma mère. Elle n’était pas mon maître, elle était plus, elle était ma volonté. Ce régime sain de la maison paternelle ou la seule loi était de s’aimer, où la seule crainte était de déplaire, où la seule punition était un front attristé, avait fait de moi un enfant très-développé pour tout ce qui était sentiment, très-impressionnable aux moindres rudesses, aux moindres froissements de cœur. Je tombais de ce nid rembourré de duvet, et tout chaud de la tendresse d’une incomparable famille, sur la terre froide et dure d’une école tumultueuse, peuplée de deux cents enfants inconnus, railleurs, méchants, vicieux, gouvernés par des maîtres brusques, violents et intéressés, dont le langage mielleux, mais fade, ne déguisa pas un seul jour à mes yeux l’indifférence.

Je les pris en horreur. Je vis en eux des geôliers. Je passais les heures de récréation à regarder seul et triste, à travers les barreaux d’une longue grille qui fermait la cour, le ciel et la cime boisée des montagnes du Beaujolais, et à soupirer après les images de bonheur et de liberté que j’y avais laissées. Les jeux de mes camarades m’attristaient ; leur physionomie même me repoussait. Tout respirait un air de malice, de fourberie et de corruption qui soulevait mon cœur. L’impression fut si vive et si triste, que les idées de suicide dont je n’avais jamais entendu parler m’assaillirent avec force. Je me souviens d’avoir passé des jours et des nuits à chercher par quel moyen je pourrais m’arracher une vie que je ne pouvais pas supporter. Cet état de mon âme ne cessa pas un seul moment tout le temps que je restai dans cette maison.