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Non ! Tu ris avec moi de l’erreur où nous sommes ;
Tu sais de quel linceul le temps couvre les hommes ;
Tu sais que tôt ou tard, dans l’ombre de l’oubli,
Siècles, peuples, héros, tout dort enseveli ;
Que sur l’épaisse nuit qui descend d’âge en âge
À peine un nom par siècle obscurément surnage ;
Que le reste, éclairé d’un moins haut souvenir,
Disparaît par étage à l’œil de l’avenir,
Comme, en quittant la rive, un navire à la voile,
À l’heure où de la nuit sort la première étoile,
Voit à ses yeux déçus disparaître d’abord
L’écume du rivage et le sable du port,
Puis les tours de la ville où l’airain se balance,
Puis les phares éteints qu’abaisse la distance,
Puis les premiers coteaux sur la plaine ondoyants,
Puis les monts escarpés sous l’horizon fuyants.
Bientôt il ne voit plus au loin qu’une ou deux cimes,
Dont l’éternel hiver blanchit les pics sublimes,
Refléter au-dessus de cette obscurité
Du jour qui va les fuir la dernière clarté,
Jusqu’à ce qu’abaissés de leur niveau céleste,
Ces sommets décroissants plongent comme le reste,
Et qu’étendue enfin sur la terre et les mers,
L’universelle nuit pèse sur l’univers.
De la gloire du temps voilà l’image sombre.
Éloigne-toi d’un siècle, et tout rentre dans l’ombre ;
Laisse pour fuir l’oubli tant d’insensés courir !
Que sert un jour de plus à ce qui doit mourir ?

Tu voudrais cependant que sur un cénotaphe
La gloire t’inscrivît ta ligne d’épitaphe,
Et promît à ton nom, de temps en temps cité,
Ses heures de mémoire et d’immortalité,