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ET RELIGIEUSES.

pelait la source du Foyard (foyard veut dire hêtre). Ce nom lui venait d’un hêtre colossal planté sans doute par le hasard sur la pente rapide d’une colline de roches humides. Cet arbre, qui existe encore, devait compter déjà sa vie par siècles. Il répandait la nuit sur un demi-arpent. À ses pieds, une grotte naturelle laissait voir une eau dormante au fond d’un bassin. Cette eau, filtrant à travers la rocaille, allait se dégorger à quelques pas de là par la bouche d’un dauphin de pierre noire, qui la vomissait à gros bouillon. Elle tombait de bassin en bassin jusque dans un petit étang qui portait bateau. Deux bancs de pierre verdis de mousse étaient placés à quelque distance, en vue du dauphin. Des arbres forestiers de toute espèce s’élevaient, autrefois alignés, aujourd’hui libres de leurs rameaux, au-dessus des cascades. C’était ma retraite la plus habituelle du milieu des jours en été. J’y portais mes livres, je lisais au murmure de la source éternelle, et au sifflement des merles accoutumés à moi qui venaient boire au bord du bassin. Quelquefois, fatigué de lire, je descendais vers l’étang, je détachais le bateau de sa chaîne, je me couchais au fond sur un coussin de joncs, et je le laissais dériver au gré du vent, la tête renversée en arrière, ne voyant plus que le ciel et les pointes des peupliers qui entrecoupaient le firmament.

En 1826, mon oncle mourut sans avoir quitté son désert. Il me le légua par son testament. Je revins d’Italie pour en prendre possession. J’étais seul ; il y avait plusieurs années que je n’étais rentré dans cette demeure, douce et chère à mon enfance. Elle était attristée par l’absence, mais aussi vivifiée encore par l’image et par le souvenir de cet homme de paix. Je me hâtai de parcourir tous les sentiers et toutes les eaux de ces jardins, où j’espérais me fixer à mon tour, après les années de labeur et d’agitation. En rentrant le soir de mes courses, je passai sous le grand hêtre ; j’entendis la source qui semblait à la fois pleurer et se réjouir dans ses gazouillements. J’y descendis, j’y trempai mes lèvres ; je m’assis sur le banc, j’y vis revenir les générations nouvelles des merles qui me connaissaient jadis. Ces vers me montèrent tout à coup du cœur, comme cette eau fraîche montait du rocher. Je rentrai au château pour les écrire.

Maintenant le hêtre et la source, que j’ai vendus en 1830 pour