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Étendre, resserrer ses ondoyants réseaux,
Jeter sur le gazon le voile errant des eaux,
Et, comblant le vallon de bruit et de poussière,
Poursuivre au loin sa course en vagues de lumière !

Mes regards, à ses flots suspendus tout le jour,
Les cherchaient, les suivaient, les perdaient tour à tour,
Comme un esprit flottant de pensée en pensée,
Qui les perd, et revient sur leur trace effacée.
Je le voyais monter, rouler, s’évanouir,
Et de ses flots brillants j’aimais à m’éblouir :
Il me semblait y voir ces longs rayons de gloire,
Dont la ville éternelle avait ceint sa mémoire,
Remonter vers leur source à travers l’âge obscur,
Et couronner encor les sommets de Tibur ;
Et quand des flots hurlant dans leurs larges abîmes
Mon oreille écoutait les murmures sublimes,
Dans ces convulsions, ces voix, ces cris des flots,
Multipliés cent fois par de roulants échos,
Il me semblait entendre à travers la distance
Les secousses, les pas, les voix d’un peuple immense,
Qui, pareil à ces eaux, mais plus prompt dans son cours,
Fit du bruit sur ses bords, et s’est tu pour toujours…

Ô fleuve ! lui disais-je, ô toi qui vis les âges
Prêter et retirer l’empire à tes rivages !
Toi dont le nom chanté par un humble affranchi
Vient braver, grâce à lui, le temps qu’il a franchi !
Toi qui vis sur tes bords les oppresseurs du monde
Errer, et demander du sommeil à ton onde[1] ;

  1. Mécène, dans les derniers temps de sa vie, ne pouvait dormir qu’à Tibur, au bruit des cascatelles. (Historique.)