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ET RELIGIEUSES.

d’ermites que le monde peut leur envier. Aussi tous les grands poëtes et tous les grands artistes de l’Italie y sont-ils venus tour à tour chercher un asile temporaire contre les misères, contre les désespoirs ou contre les proscriptions dont la vie des hommes mémorables est presque toujours travaillée. On y montre la cellule de Boccace, celle de Dante, celle de Michel-Ange, celles des différents proscrits des maisons rivales qui se disputèrent la liberté ou la tyrannie pendant les luttes des républiques du moyen âge.

Grâce au nom de M. Antoir et à sa familiarité avec les moines, qui reconnaissaient en lui un visiteur de tous les étés, nous fûmes bien reçus à Vallombreuse ; on nous donna une gracieuse hospitalité : une cellule au midi, un pain savoureux, le miel et le beurre des montagnes, le poisson des viviers, et surtout les sentiers libres de ces solitudes. Ces journées passées avec la mémoire de tant de grands hommes malheureux, au-dessus de l’horizon des agitations terrestres, en compagnie d’un homme né philosophe, dans la confidence de ces arbres, de ces murs, de ces eaux, de ces déserts bourdonnants de végétation, de source, de vol d’insectes, de rayons et d’ombres, me laissèrent une longue et forte impression de recueillement et de rafraîchissement dans l’âme. Je m’en suis souvenu en écrivant, dix ans après, les sites de Valneige, dans le petit poëme de Jocelyn ; la figure de M. Antoir se retrouve aussi dans celle de ce pauvre prêtre.

Nous redescendîmes en laissant là-haut des regrets. Les moines, sachant par mon compagnon que j’étais un poëte français, me prièrent d’écrire mon nom sur leur registre d’étrangers : j’y écrivis ces vers.

La solitude à deux ouvre l’âme. M. Antoir avait un secret dans sa vie. Le secret de tout Italien, c’est un amour. Il aimait depuis vingt ans une Florentine de la bourgeoisie, sans fortune comme lui. Ainsi que tous les soupirants de ce pays de la constance, où le sentiment se change en culte, il portait chaque matin un bouquet de fleurs à la fenêtre grillée de la maison qu’habitait sa Béatrice. Il passait toutes les soirées avec elle et avec ses sœurs, en famille, et les conduisait à la promenade