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HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES.

défiguré mon modèle. La poésie pleure bien, chante bien ; mais elle décrit mal. Le moindre coup de crayon d’un dessinateur ou d’un peintre vaut pour les yeux tout Homère, tout Virgile, tout Théocrite. J’aime mieux le balancement d’une seule voile de pêcheur sur les lames bordées d’écume de ce golfe ; j’aime mieux l’ombre d’un pin d’Italie transpercée d’une pluie de rayons de lune sur cette grève ; j’aime mieux les grands bras d’un châtaignier de ces montagnes penchés sous le vent tiède, sonore et embaumé de l’Apennin, que les deux ou trois cents vers dans lesquels j’ai tenté de me réfléchir à moi-même cette nuit. Impuissance de l’art, impuissance surtout de l’artiste devant la toute-puissance de la nature. « Dieu est le grand architecte, » disent les philosophes ; et le grand poëte, donc ! Demandons-lui pardon d’avoir barbouillé son poëme et défiguré sa création.