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vif et perçant, l’air mélancolique : tel est le portrait qu’en fait le capitaine Clotz.

Il brûle trois fois la flotte ottomane.


« Les Hydriotes (dit Pouqueville) avaient à peine relâché à Psara, qu’on vota unanimement la destruction de la flotte ottomane qui était à Ténédos. Une division navale, composée de douze bricks de Psara, avait observé sa position. L’entreprise était difficile : les Turcs, sans cesse aux aguets depuis la catastrophe de Chio, se gardaient avec soin et visitaient les moindres bâtiments. Cependant, comme l’amirauté avait une confiance extrême dans Kanaris, qui s’offrit encore pour cette périlleuse mission, on se décida à la hasarder.

» On ajouta un brûlot à celui que le plus intrépide des hommes de notre siècle devait monter ; et, malgré le temps orageux qui régnait, les deux armements mirent en mer le 9 novembre, à sept heures du soir, accompagnés de deux bricks de guerre, fins voiliers. Arrivés, le jour suivant, à leur destination, les gardes-côtes de Ténédos les virent sans défiance doubler un des caps de l’île, sous pavillon turc. Ils paraissaient chassés par les bricks de leur escorte, qui battaient flamme et pavillon de la croix ; et le costume ottoman que portaient les équipages des brûlots complétait l’illusion, lorsque deux frégates turques, placées en vedette à l’entrée du port, les signalèrent, comme pour les diriger vers le point qu’ils cherchaient.

» Le jour commençait à baisser, et il était impossible de distinguer le vaisseau amiral au milieu d’une forêt de mâts, quand celui-ci répondit aux signaux des frégates d’avant-garde par trois coups de canon. Il est à nous ! dit aussitôt Kanaris à son équipage ; courage, camarades ! nous le tenons ! Manœuvrant directement vers le point d’où le canon s’était fait entendre, il aborde l’énorme citadelle flottante, en enfonçant son mât de beaupré dans un de ses sabords ; et le vaisseau s’embrase avec une telle rapidité, que, de plus de deux mille individus qui le montaient, le capitan-pacha et une trentaine des siens parviennent seuls à se dérober à la mort.

» Au même instant, un second vaisseau est mis en feu par le brûlot de Cyriaque, et la rade n’offre plus qu’une scène déplorable de carnage, de désordre et de confusion. Les canons, qui s’échauffent, tirent successivement ou par bordée, et