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XV


» Que ce vent dans ma voile avec grâce soupire !
On dirait que le flot reconnaît mon navire,
Comme le fier coursier, par son maître flatté,
Hennit en revoyant celui qu’il a porté.
Oui, vous m’avez déjà bercé sur vos rivages,
Ô vagues, de mon cœur orageuses images,
Plaintives, sans repos, terribles comme lui !
Vous savez qui j’étais ! mais qui suis-je aujourd’hui ?
Ce que j’étais alors : un mystère, un problème ;
Un orage éternel qui roule sur lui-même ;
Un rêve douloureux qui change sans finir ;
Un débris du passé qui souille l’avenir ;
Un flot, comme ces flots errant à l’aventure,
Portant de plage en plage une écume, un murmure,
Et qui, semblable en tout au mobile élément,
Sans avancer jamais, flotte éternellement.
Qu’ai-je fait de mes jours ? où sont-ils ? quel usage
Aux autres, à moi-même, atteste leur passage ?
Quelle borne éternelle a marqué mon chemin ?
Quel fruit ai-je cueilli qui n’ait trompé ma main ?
Tentant mille sentiers sans savoir lequel suivre,
Où n’ai-je pas erré ?… Mais errer, est-ce vivre ?…
N’est-il pas dans le ciel, en nous-même, ici-bas,
Quelque but éclatant pour diriger nos pas,
Et vers qui l’Espérance, en marchant, puisse dire :
« S’il m’échappe, du moins je sais à quoi j’aspire ? »