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du fil qu’il lui tend. « J’entends parler du salut du peuple, reprend Lanjuinais, c’est là l’heureuse transition dont j’avais justement besoin. Ce sont donc des idées politiques que l’on vous appelle à discuter, et non pas des idées judiciaires. J’ai donc eu raison de vous dire que vous ne deviez pas siéger ici comme juges, mais comme législateurs. La politique veut-elle que la Convention soit déshonorée ? La politique veut-elle que la Convention cède à l’orageuse versatilité de l’opinion publique ? Certes, il n’y a qu’un pas, dans l’opinion publique, de la haine et de la rage à l’amour et à la pitié. Et moi je vous dis aussi : Pensez au salut du peuple. Le salut du peuple veut que vous vous absteniez d’un jugement qui créera d’affreuses calamités pour la nation, d’un jugement qui servira à vos ennemis dans les horribles conspirations qu’ils trament contre vous ! » Lanjuinais descend au milieu dès murmures.

« On vous demande, répond Amar, quels seront les juges ? On vous dit : « Vous êtes tous parties intéressées ! » Mais ne vous dira-t-on pas aussi que le peuple français est partie intéressée, parce que c’est sur lui qu’ont porté les coups du tyran ? A qui donc faudra-t-il en appeler ? Aux planètes, sans doute ? — Non, une assemblée de rois, ajoute Legendre avec un éclat de rire qui retentit dans les tribunes. — Jugeons sans désemparer, répète Duhem : quand les Autrichiens bombardaient Lille au nom du tyran, ils ne désemparaient pas. — Trêve à ces déclamations, réplique Kersaint ; nous sommes ses juges et non ses bourreaux ! » Quelques membres, fatigués ou indécis, demandent l’ajournement de la discussion à une autre séance. Le président le met aux voix. La majorité le prononce. Quatre-vingts députés de la Montagne s’élancent de leurs bancs